Mes premiers pas à l’école
Pour certains d’entre nous aussi, cette année représente un tournant. Certains, comme moi, quittent en effet le giron de leur mère pour entrer à l’école maternelle. Comme mes camarades, terrorisée à l’idée d’être séparée d’elle, je m’accroche à ses jupes. Pleurs, supplications, rien n’y fait. Nous voyons partir nos mères les yeux pleins de larmes. Reconnaissons-le, nous sommes rapidement conquis. D’abord, il y a les maîtresses douces et bienveillantes. Puis les autres enfants avec qui nous jouons à la marelle ou au chat. Nous courons sans cesse en poussant des cris stridents. Les plus grands gardent un œil sur leurs petits frères et sœurs, prêts à voler à leur secours s’ils se font embêter par leurs camarades. Nous attendons avec impatience le goûter : du tapioca au chocolat ! Puis vient l’heure de la sieste : nous détestons ça. Dans le petit dortoir, nous devons nous coucher sagement et nous tenir cois. Heureusement, ce supplice ne dure pas bien longtemps. Quelques minutes plus tard, des souffles réguliers bercent les plus récalcitrants.
Mon petit frère est né deux ans plus tard, en 1930. A cinq ans, je suis une grande et c’est moi qui, au petit matin, l’emmène à l’école en le prenant par la main. En chemin, notre plus grande joie, est d’observer l’allumeur de réverbères saisir sa longue perche et étouffer la flamme du bec de gaz. Et de voir peu à peu la ville s’éveiller. D’abord, nous passons devant l’atelier du maréchal-ferrant où l’on mène les chevaux. Nous sommes terrorisés par le ronronnement sourd de la forge. L’odeur âcre de la corne brûlée nous prend à la gorge. Nous allongeons le pas pour passer au plus vite. Nous croisons alors le vendeur de cresson qui crie : « Cresson de fontaine ! Achetez-le ou je me le promène ! » Un peu plus loin, c’est au tour du vitrier qui, ses carreaux sur le dos, arpente les rues en hélant la clientèle. Le rémouleur, lui, reste immobile pour aiguiser les couteaux, rasoirs et faucilles qu’on lui apporte. Nous aimons regarder tourner la meule et jaillir les étincelles.
Mais celui que nous guettons, le jeudi, lorsque nous n’allons pas à l’école, c’est le marchand de glaces. Nous le voyons arriver de loin avec son béret et son pantalon blanc, assortis à sa veste à rayures roses et blanches. Nous demandons quelques sous à notre maman, puis courons acheter un cornet en poussant des cris de joie.
Michael BAMBU